Quand on contacte Mme Royal, Ministre de l'Environnement, de l'Energie et de la Mer, pour lui faire part d'inquiétudes sur le déroulement ou les paramètres d'un ou de plusieurs projets éoliens et qu'on a la chance qu'elle réponde, elle rappelle que « l'implantation d'éoliennes sur le territoire est soumise à différentes étapes qui garantissent la consultation et la participation du public ».
Or, l'expérience sur le terrain semble aux antipodes de cette déclaration. Dans la plupart des cas, les promoteurs viennent voir les maires directement (et ils n'acceptent pas un « non », ils n'ont pas peur de forcer, voire de s'inviter chez les maires alors que les rendez-vous ont été refusés) pour les obliger à considérer leur projet. Naïvement, et pour avoir la paix, la plupart d'entre eux accepte de proposer le projet à leur conseil municipal. Les conseillers municipaux, souvent juste là pour confirmer les décisions du maire, surtout dans les très petits villages où le culte de la personnalité est très réel, s'opposent très rarement à ces projets. D'autant qu'à ce stade rien n'est connu ; le conseil municipal est sommé de se prononcer dans l'abstrait et le vague sur un éventuel projet éolien qui pourrait peut-être un jour installer des éoliennes d'une taille inconnue quelque part sur la commune. Il semble absurde qu'une décision prise dans de telles conditions puisse avoir quelque valeur que ce soit. Mais, incroyablement, elle suffit pour que les promoteurs considèrent le projet comme lancé et légitimé.
Souvent, les conseillers municipaux votent par la même occasion les pleins pouvoirs au maire pour gérer la communication avec le promoteur et pour prendre les décisions qu'il veut. Après tout, s'impliquer dans des décisions qui affecteront la commune pendant 20 ou 30 ans serait risqué, autant faire en sorte qu'on puisse blâmer les retombées sur quelqu'un d'autre. Ceci est la fin du processus démocratique dans la procédure ICPE.
La plupart du temps, les maires voyant l'attrait de l'argent pour financer leurs projets (même si de nos jours cette somme est symbolique après l'abolition de la Taxe Professionnelle), ils ont tendance à essayer de rendre les choses le plus facile possible pour les promoteurs. Bien dans l'esprit du processus ICPE entier. Ils vont donc être tentés de garder le projet aussi discret que possible pour que la population ne le remarque pas. Tout le monde reçoit l'ordre de garder le secret « pour ne pas rendre la vie des promoteurs compliquée ». Y'a-t-il un processus moins démocratique qu'une personne seule, dont la responsabilité est envers une population qui l'a élue, qui décide de garder des secrets vis-à-vis de cette population pour faciliter la vie d'un investisseur qui n'est là que pour faire de l'argent ?
Si on a de la chance, une fois toutes les études bouclées et les dossiers ficelés, le promoteur organisera une réunion publique. Durant cette réunion, il restera vague (par exemple en prétendant ne pas savoir quelles éoliennes seront utilisées alors que le dossier étant complet c'est une information connue depuis longtemps), passera sous silence des informations essentielles en ne les expliquant pas (par exemple en déclarant que les éoliennes n'augmenteront le bruit ambiant que de 6dB mais oubliant d'expliquer qu'une augmentation de 3dB revient à doubler le niveau de bruit, ce n'est pas rien), produira des informations absurdes tirées d'articles de presse qu'ils n'ont pas lus en les détachant de leur contexte (le fameux "l'implantation d'éoliennes fera augmenter le prix de l'immobilier de 46,7%"), ou simplement mentira sans broncher (en déclarant par exemple que les 50000€ mis de côté suffiront à financer le démantèlement des éoliennes, et que de toute façon l'Etat paiera toute somme manquante). Mentir aux populations n'est pas un comportement acceptable et va certainement à l'encontre du processus démocratique.
Viennent ensuite les demandes de permis. Depuis l'introduction du guichet unique pour faciliter et accélérer l'implantation d'éoliennes, et surtout rendre plus difficile de s'opposer à ces permis, les promoteurs ne consultent plus les maires ou les conseillers municipaux pour obtenir ces permis. Notre expérience est que les maires ne sont même pas avertis que les demandes de permis ont été envoyées. Apres tout, les conseils municipaux ont dit il y a des années lors de la première réunion sur le projet où ils n'avaient aucune information qu'ils étaient en faveur d'un projet éolien sur leur commune, il n'y a pas de raison de leur demander de confirmer maintenant. Les demandes de permis vont donc directement à la préfecture sans passer par la case mairie.
Un jour, une fois les permis délivrés et donc quasiment inattaquables, une enquête publique est organisée pour la forme. C'est le seul moment où le public peut donner un avis sur le projet et tout le monde sait qu'il est trop tard pour l'arrêter. Donc beaucoup ne prennent pas la peine. Un commissaire enquêteur qui ne prend pas la peine de vraiment lire ce qu'on lui écrit et qui accepte toutes les déclarations des promoteurs comme parole d'évangile, va recueillir l'avis de la population. Avec de la chance il notera fidèlement les objections, mais souvent il les regroupera par thèmes et passera à la trappe les nuances gênantes (à moins d'aller les chercher dans les annexes enterrées dans un coin de dossier). Cette enquête publique n'est que consultative de toute façon et le préfet n'interdira pas un projet juste parce que la population de la commune y est opposée. Quand est-ce que cette étape sera éliminée au même titre que la consultation des conseils municipaux ?
Quoiqu'il en soit, même si les organismes consultés donnent tous un avis négatif et si la population se prononce unanimement contre le projet, le préfet ne l'interdira pas. Il sait que la douleur ne viendra pas de la population ; elle viendra du promoteur qui le trainera au tribunal. Il va donc être très tenté d'accepter tous les projets, quel qu'en soit le contenu. C'est finalement les juges du tribunal administratif qui décident d'autoriser le projet. Mais ces juges basent leur décision uniquement sur la légalité et le suivi du peu d'obligations du processus ICPE. Pas sur la justification du projet ou l'avis de ceux qui en supportent les conséquences. Or, le processus ICPE a été entièrement créé pour faciliter le développement de projets éoliens et pour que presque rien ne puisse arrêter un tel projet (même le code de la santé qui serait autrement bien gênant en raison du bruit des éoliennes). Il est donc très rare qu'un tribunal interdise un projet. La décision de juges suivant des lois très biaisées en faveur des promoteurs n'est pas démocratique. Par définition, les décisions de juges ne sont pas démocratiques puisqu'ils doivent appliquer les lois strictement et indépendamment.
Donc, où est la participation du public dont Mme le Ministre parle ? En ces temps où le public manifeste de plus en plus souvent et de plus en plus fort sa désapprobation de l'absence de processus démocratique réel (pensez loi travail, loi sur le numérique, ACTA) et où des mouvements comme Nuit Debout en France ou Les Indignés/Podemos en Espagne prennent racine et de l'ampleur, il est incroyable de voir que ce processus ICPE devienne de moins en moins démocratique chaque année dans le but unique de permettre aux promoteurs d'implanter leurs éoliennes avec le moins de contraintes possible. L'introduction du guichet unique est la dernière étape en date, mais sûrement pas la dernière, dans l'élimination du processus démocratique de la procédure d'implantation d'éoliennes dans nos villages.
Alors non, n'en déplaise à Mme Royal, le processus ICPE n'est pas démocratique. Non, le public ne peut pas participer. Non, le public n'est pas vraiment consulté. Non, les populations ne peuvent pas se faire entendre. Elle a façonné un processus dont le but clair est d'éliminer le public et il est incroyable et insultant qu'elle ose déclarer le contraire.
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